Étudiante en histoire, Nina Pollard enquête sur lécrivain autrichien et résistant, exilé au Lavandou dans les années 30 et mort à Dachau en 1945. Elle raconte…
Le 14 juillet 1945, la ville du Lavandou organisait une cérémonie devant le monument aux morts où les honneurs étaient rendus à Emil Alphons Rheinhardt, figure de la Résistance, mort pour la France. Décédé le 24 février 1945 à Dachau, cet écrivain, tombé dans loubli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, bénéficie néanmoins depuis quelques années de plusieurs travaux de recherches qui ont permis de le redécouvrir.
Etudiante en histoire au sein du cursus franco-allemand TübAix, jai choisi décrire mon mémoire de Master sur lécrivain Emil Alphons Rheinhardt, sous la direction de M. Jean-Marie Guillon et de M. Ewald Frie. Cette étude sinscrit dans le contexte de la résistance des intellectuels autrichiens exilés en France sous le IIIe Reich. Afin denrichir mon sujet, jai effectué des recherches à Aix-en-Provence, à Tübingen et à Vienne. Enfin, jai été aidée dans mon travail par ma rencontre, en avril 2012, avec les Lavandourains Raphaël Dupouy et Francis Marmier.
De Vienne au Lavandou
Né le 4 avril 1889 à Vienne, Rheinhardt est élevé au sein dune famille catholique et conservatrice. Après avoir suivi des études de médecine de 1910 à 1913, il embrasse très vite la carrière décrivain et se fait connaître au sein des cercles littéraires. Il intègre la plateforme de lavant-garde viennoise : lAssociation académique de la musique et de la littérature à Vienne et devient un pilier de lexpressionnisme autrichien.
Rédacteur de la revue expressionniste Der Daimon en 1918, il fait paraître plusieurs recueils de poèmes, notamment Das Abenteuer im Geiste. En 1924, après avoir travaillé au sein de la maison dédition Drei-Masken- Verlag à Münich, Rheinhardt sinstalle en Italie pour écrire la biographie dEleonora Duse, célèbre comédienne transalpine.
A la villa Les Chênes
Son périple continue au Lavandou, où il décide de sinstaller en 1928 en compagnie de sa secrétaire dévouée, Erica de Behr. Il est rapidement entouré dune importante communauté de lintelligentsia en exil, qui, chassée par la vague brune, se concentre pour une bonne partie dans certaines communes du Var. Le poète autrichien habite à la villa Les Chênes (aujourdhui avenue Paul-Valéry). Lintellectuel Alfred Kantorowicz qualifie sa maison de lieu de rencontre hospitalier pour les écrivains. Ainsi, Rheinhardt accueille de nombreuses personnalités telles que Golo et Thomas Mann, René Schickele, Henri Michaux, Franz Hessel, etc. Cet exil en paradis, selon lexpression de Manfred Flügge va néanmoins être terni par le conflit mondial.
Incarcéré au camp des Milles
Suite à la déclaration de guerre en 1939, les ressortissants des puissances ennemies sont appelés à se rendre dans des camps dinternements. Rheinhardt est alors incarcéré en mai 1940 au camp des Milles à Aix. De retour au Lavandou en juillet 1940, il tente dobtenir un visa pour les Etats-Unis. Ses démarches sont décrites dans sa correspondance avec Gerty Wolmut, conservée à la Bibliothèque Nationale de Vienne. Sa demande de visa ayant échoué, cet Européen incurable décide dintégrer la Résistance : Le monde entier risque sa vie pour la liberté ; moi, je ne resterai pas à côté.
Daprès Erica de Behr, il aurait envoyé un plan des fortifications méditerranéennes aux Alliés. Tout comme le Général Giraud, le poète autrichien aurait dû être évacué sur les plages duLavandou par un sous-marin.
Déporté à Dachau
Son destin va basculer le 28 avril 1943 lorsquil est arrêté par lO.V.R.A., la police fasciste italienne. Après avoir été emprisonné à Hyères, il est torturé à la villa Lynwood à Nice, puis incarcéré successivement dans les prisons de Menton, de Nice et de Marseille où il rédige un journal sur son quotidien carcéral : Tagebuch aus den Jahren 1943-44.
Rheinhardt est déporté à Dachau le 2 juillet 1944 via Compiègne. Nico Rost dans son livre Goethe in Dachau témoigne du supplice subi par le poète autrichien dans le camp de concentration. Envoyé
en tant que médecin dans un baraquement atteint du typhus, il meurt dans la nuit du 24 février 1945, deux mois avant la libération de Dachau.
Au Lavandou, le souvenir de Rheinhardt reste désormais gravé dans la pierre du monument aux morts ainsi que dans la mémoire des anciens qui ont connu cette période trouble de lhistoire.
Nina Pollard
Ses journaux de captivité retrouvés !
Nina Pollard nest pas la première à se rendre au Lavandou pour en savoir davantage sur Rheinhardt. Une autre scientifique, Dominique Lassaigne, membre du CNRS, louait chaque année un studio à la Favière afin dapprofondir ses travaux dans la région et sillonnait
lEurope en quête dinformations sur lui. Dans un grenier en Angleterre, cette passionnée avait même retrouvé les journaux de captivité de lécrivain que lon croyait perdus et projetait déditer un livre sur cette période sombre de lhistoire contemporaine. Hélas, en 2005, un chauffard sur une route dEcosse stoppa brutalement la vie de Mme Lassaigne. Certains de ses collègues universitaires ont, depuis, repris ses recherches : Meine Gefängnisse (Mes prisons) 1943-1945, dUta Schwarz et Jean-Louis Georget, devrait paraître
en allemand en septembre prochain.
Article extrait de : Figure Libre – N° 34 – août 2012
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LM – Mardi 31 juillet 2012
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