« Manifeste pour une justice humaine et indépendante. Programme de refonte de la justice »
Laurent Sebag, juge et vice-président du tribunal judiciaire de Toulon nous explique pourquoi il a décidé de rejoindre le collectif A.M.O.U.R de la justice pour une justice plus humaine et indépendante.
Manifeste pour une justice humaine et indépendante Programme de refonte de la justice
Ce livre co-signé avec Jérôme Pauzat et Marie Bougnoux est disponible sur toutes les plateformes et chez les libraires toulonnais.
Une confession face caméra pour Info83
« Je suis un juge, un juge parmi d’autres. Il se trouve que je suis juge depuis presque 17 ans maintenant. Le temps passant, j’ai eu la sensation que je perdais un peu le sens de la raison pour laquelle j’ai épousé ce métier par vocation. Parce qu’il est éminemment normalement tourné vers l’humain. On ne fait pas un choix comme celui-ci par hasard. J’ai trouvé que la justice, qui était celle que j’avais rencontrée en 2005, n’était plus la même qu’aujourd’hui.
Je me suis dit « est-ce que je m’en rends compte tout seul ? » Et en fait, j’ai fait le constat que l’on est extrêmement nombreux à être dans cette situation. Ce mal-être n’est pas ressenti que par les magistrats. Il est ressenti en réalité par tous les acteurs de la justice qui perdent foi en l’œuvre à laquelle ils sont censés participer. Notamment, parce qu’elle est, aujourd’hui, sans doute guidée par des considérations qui s’éloignent de cet humain. La justice devient davantage quelque chose de statistique et administratif. Un travail dans lequel on perd de vue qu’on rend la justice, chacun à notre niveau, quel que soit notre métier.
« Une crise de confiance aujourd’hui entre le justiciable et la justice »
C’est une des raisons pour lesquelles il y a une crise de confiance aujourd’hui entre le justiciable et la justice. On ne se comprend pas parce que chacun ne s’explique pas vraiment à l’autre. En réalité, ceux qui prennent la responsabilité d’expliquer la justice aujourd’hui, ce sont des personnes qui ne participent pas à son rendu. Que ce soient des politiques, que ce soient des techniciens qui en réalité n’en sont pas. Il faut que chacun retrouve le sens de ses responsabilités et surtout le cœur de sa mission pour retrouver goût à ce travail.
À l’heure où je parle, on ne le sait pas forcément, mais parmi ces acteurs de la justice, certains sont harassés par la charge de travail et la perte de sens de cette mission. Certains ne se retrouvent pas dans leurs métiers et ne retrouvent pas la force de pouvoir lutter autrement, ils mettent alors un terme à leur vie, tout simplement. Ça ne se sait pas forcément. Ce que je dis peut paraître anecdotique, peu important aujourd’hui, mais c’est quelque chose qui n’est pas su et qui nécessite d’être entendu.
« Il me paraissait important de ne pas me résigner, de ne pas changer de métier »
Il me paraissait important de ne pas me résigner, de ne pas changer de métier. À titre personnel, je me suis longtemps posé la question de savoir si j’allais continuer à exercer ce métier dans des conditions qui ne me satisfont peu ou plus. Je me suis dit que j’allais essayer, au sein de cette association, de faire bouger les lignes et de changer les choses pour qu’on puisse créer une justice de demain qui soit satisfaisante pour tous.
On met dans ces métiers là beaucoup de soi, au détriment parfois de vie de famille, de vie sociale, qu’on sacrifie. Cela vient un peu broyer l’individu qui est censé travailler. Il ne peut pas être un juge sans avoir une vie sociale, familiale, amicale et équilibrée. On ne peut pas se préoccuper d’apporter une réponse aux difficultés des gens quand on est soi-même, enkysté dans les siennes. Cela nécessite donc que ce qui est un métier redevienne une véritable vocation et une forme d’expression, une forme de passion aussi.
Passion qu’on retrouve d’ailleurs dans le nom de cette association, qui fait sourire parfois, mais qui traduit bien cette relation passionnelle qu’on a à cette vertu qu’est la justice. Elle nous pousse à essayer de bâtir quelque chose d’un peu différent pour demain, pour que tout le monde s’y retrouve. »
Laurent Sebag
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