Suite à l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du cautionnement, deux avocats du Barreau de Toulon, Maître James Turner et Maître Julien Simondi confrontent leur regard sur le nouveau cautionnement bancaire.
La vie des affaires conduit très souvent à avoir recours à l’emprunt ou au crédit fournisseur.
Le cautionnement bancaire, c’est une garantie que tout bon banquier aura à coeur de garantir. Afin de limiter le risque inhérent à l’octroi d’un prêt, ou que tout fournisseur, afin d’être réglé des marchandises qu’il a vendues à terme, aura la garanti du remboursement des sommes qu’il a prêtées ou le paiement de ce qu’il a vendu.
Simple, peu onéreux voire gratuit, et globalement efficace.
Il s’agit d’une garantie parfaite pour qui voudra se prémunir contre le risque d’impayé.
Une définition du cautionnement à ce stade s’impose :
Suivant l’article 2288 du Code civil, le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de sa part.
Il s’agit d’une opération tri partie, où nous avons un créancier, à qui une certaine somme est due, un débiteur principal, qui doit cette somme au créancier, et la caution, qui s’engage à payer le créancier si celui-ci se montre défaillant.
Avec l’ordonnance du 15 septembre 2021, le cautionnement a subi une importante refonte, laquelle ne sera cependant applicable qu’aux cautionnements contractés depuis le 1er janvier 2022.
Etat du droit antérieur :
Depuis la loi du 1er août 2003, dite loi initiative économique le cautionnement était soumis à un important formalisme :
Mention manuscrite particulièrement longue devant obligatoirement être respectée, à peine de nullité du cautionnement, qui a donné naissance à un abondant contentieux, voire absurde
Obligation de respect de la proportionnalité de l’engagement consenti
Obligation d’information annuelle, dont certaines faisait doublon, à peine de déchéance du droit aux intérêts contractuels, lesquelles se trouvaient dans différents code (Code Monétaire et Financier, Code civil, Code de la consommation)
Etat du droit positif applicable depuis le 1er janvier 2022 :
On assiste à une certaine simplification quant au formalisme du cautionnement.
La mention manuscrite ou pas :
La nécessité d’une mention à peine de nullité du cautionnement est conservée, mais les termes de la mention sont grandement simplifiés.
La question de la mention n’est plus simplement opposable au créancier professionnel, comme c’était le cas par le passé, mais à tous les créanciers bénéficiaires de cautionnements.
Le texte ne parle plus de mention manuscrite. Mais simplement de mention, que la caution doit apposer elle-même, contrairement à ce qui se faisait par le passé.
L’on voit poindre les effets des nouvelles technologies, et la possibilité d’apposer cette mention par voie électronique.
Par application de l’article 2297 du Code civil, et à peine de nullité du cautionnement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres.
Si le cautionnement est solidaire :
La mention manuscrite devra le préciser, en indiquant que la caution reconnaît ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur principal, ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions. A défaut, elle conserve le droit de ses prévaloir de ces bénéfices.
La mention que doit apposer la caution est simplifiée : depuis la loi du 1er août 2003, dite initiative économique, et à peine de nullité de son engagement, la caution devait fastidieusement apposer une mention manuscrite particulièrement précise, ce qui a donné lieu à un abandon contentieux.
A titre d’exemple, remplacer un « et » par un « ou », ou encore remplacer « mois » par « mensualité », ou le simple fait de signer le cautionnement avant la mention manuscrite pouvaient conduire à la nullité du cautionnement.
Ce contentieux, dès lors que la mention sera suffisamment précise quant à la nature de l’engagement consenti, l’hypothèse dans laquelle il pourra être actionné, et quant au montant garanti, devrait échapper à toute critique.
La mention de solidarité est également simplifiée.
En pratique, et certainement par habitude, je suppose que les mentions manuscrites (si elles sont recueillies par écrit) ayant cours avant la réforme seront maintenues, dès lors qu’elles satisfont aux nouvelles exigences légales.
J’imagine également que pour éviter tout contentieux, la voie électronique sera simplifiée : le créancier fera signer le cautionnement par voie électronique, avec la mention requise déjà préremplie, avec un système de sécurisation permettant de s’assurer de l’identité du signataire.
La disproportion :
Instaurée par la loi du 1er août 2003 par la loi initiative économique, la disproportion de l’engagement consenti, fixée par le passé à l’article L. 341-4 du Code de la consommation, devenu L. 332-1 du même Code, avait pour effet de priver le créancier de se prévaloir du cautionnement consenti par la caution personne physique, si celui-ci était manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution lorsque le cautionnement a été contracté, et qu’il l’était toujours lors de l’appel en garantie.
La sanction était radicale : le cautionnement était tout simplement privé d’effet dans ces hypothèses.
La situation évoluée grandement avec le nouvel article 2300 du Code civil : la sanction d’un cautionnement manifestement disproportionné eu égard aux revenus et patrimoine de la caution, ne sera plus inefficace, mais sera réduit à hauteur duquel elle pouvait s’engager au jour de sa conclusion.
En clair, il n’y a plus d’appréciation en deux temps de la proportionnalité du cautionnement.
Désormais, on apprécie la proportionnalité au jour de la souscription du cautionnement, et non plus au jour de l’appel en garantie.
Différence également quant à la sanction de la disproportion : désormais, le cautionnement continuera de produire effet, mais uniquement à hauteur du montant pour lequel la caution pouvait effectivement s’engager au regard de ses biens et revenus lors de la souscription du cautionnement.
Se posent alors quelques questions.
Lorsque la caution est propriétaire d’un bien immobilier, le fait ne devrait pas poser de difficulté quant à l’efficacité du cautionnement, car la valeur d’un bien immobilier est aisément déterminable.
En revanche, la question est plus ardue lorsque la caution, qui n’avait pas lors de la souscription du cautionnement de bien immobilier, mais uniquement des revenus.
Comment apprécier la proportionnalité ? Doit-on prendre en compte une année de revenus, deux ans, 1 mois ?
Nous attendons sur ce point l’analyse de la jurisprudence.
Par ailleurs, le fait de ne plus prendre en compte la consistance du patrimoine de la caution au jour de l’appel en garantie semble grandement préjudiciable au créancier.
En effet, il est probable qu’au jour de la souscription d’un cautionnement, celui-ci était manifestement disproportionné au regard des biens et revenus de la caution.
L’évolution de la situation de la caution aidant, celle-ci pourra avoir acquis des biens immobiliers, notamment grâce à l’activité du débiteur principal (en général une société dont la caution est le gérant).
Malheureusement, un revers de fortune du débiteur principal pourrait la conduire à une procédure de liquidation judiciaire..
Dans ces conditions, et alors même que la caution s’est enrichie grâce à l’activité du débiteur principal, qui a été florissante pendant un temps, le créancier ne pourrait plus utilement recourir à l’encontre de la caution, dès lors que l’on se limite à apprécier la proportionnalité au jour de la souscription du cautionnement.
Le devoir de mise en garde est désormais codifié :
L’article 2299 prévoit expressément un devoir de mise en garde, à charge du créancier professionnel, et à l’égard de la caution personne physique, sans distinction du point de savoir si la caution est profane ou non.
Le devoir de mise en garde est une création prétorienne créée en 2006 au bénéfice des cautions, désormais textuellement consacrée, mais avec des variations.
Par application de l’article 2299 du Code civil le créancier professionnel (et uniquement le créancier professionnel), est tenu de mettre en garde la caution personne physique (et uniquement personne physique, sans distinction du point de savoir si la caution est avertie ou non) lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté à ses capacités financières.
Par le passé, le créancier professionnel était tenu de mettre en garde la caution.
Car elle profane sur le risque d’endettement né de l’octroi du concours.
La sanction de ce manquement étant l’allocation de dommages et intérêts en raison de la perte d’une chance de ne pas contracter.
Désormais, il conviendra de mettre en garde la caution si le concours consenti au débiteur principal est inadapté à ses capacités financières.
La sanction consiste en la déchéance du droit du créancier contre la caution à hauteur du préjudice subi par elle.
La question de l’appréciation du préjudice de la caution, sera une question délicate.
Comment apprécier le préjudice subi du fait d’un défaut à un manquement au devoir de mise en garde ?
On voit poindre ici le retour de la distinction entre caution profane et avertie. La caution avertie, en général la caution dirigeante qui aura en effet du mal à démontrer l’existence d’un préjudice, dès lors qu’il ne pouvait qu’être au fait de la situation du débiteur cautionné.
La jurisprudence se montrera certainement plus clémente vis-à-vis de la caution profane, qui elle ignorait la situation du débiteur principal.
Cependant, et pour éviter toute difficulté, un banquier prévenant aura pris soin d’alerter la caution sur l’inadaptation éventuelle du prêt aux facultés contributives du débiteur principal.
Obligation d’information annuelle et ponctuelle :
L’obligation d’information annuelle, qui était auparavant éclatée entre plusieurs codes (code monétaire et financier, code de la consommation, code civil), est désormais centralisée dans le code civil.
L’obligation d’information ponctuelle en cas de défaillance du débiteur principal est également maintenue, et elle aussi centralisée dans le code civil.
Les nouveaux bénéfices de discussion et de division :
Il s’agit de bénéfice dont disposent les cautions simples.
Par application des articles 2305-1 et 2306-1 du Code civil, la caution, à l’occasion des poursuites dont elle ferait l’objet de la part du créancier, doit opposer ces bénéfices dès les premières poursuites dirigées contre elle.
Cependant, les textes ne prévoient pas de sanctions.
Si le créancier, alors qu’il n’y est pas tenu, a lui-même divisé son action, il ne peut plus revenir sur cette division.
Le nouveau cautionnement ne peut avoir pour effet de priver la caution du RSA :
Par application de l’article 2307 du Code civil, l’action du créancier ne peut avoir pour effet de priver la caution personne physique d’une somme équivalent au RSA.
Il s’agit d’une mesure symbolique, visant à laisser un minimum de revenus à la caution, mais qui peut sembler faire double emploi, puisque les mesures de saisie attribution et les saisies des rémunérations ont déjà cet effet.
Les recours de la caution contre le débiteur principal :
La caution n’était qu’un débiteur accessoire, et le cautionnement étant par essence un acte gratuit, elle n’a pas vocation à rester la débitrice finale de ce qui est dû au créancier.
Elle conserve deux des trois recours que lui offrait le code civil.
À savoir le recours personnel après paiement, et le recours subrogatoire.
Le recours avant paiement est désormais supprimé.
Les solutions jurisprudentielles sont désormais codifiées quant à l’étendue de ces recours.
Questions pratiques : je suis créancier d’une société, qui se montre défaillante dans le paiement de ses dettes à mon endroit. Je suis également bénéficiaire d’un cautionnement. Que puis-je faire pour recouvrer les sommes qui me sont dues ?
Réponse :
Il faut agir vite. Plusieurs options sont à considérer.
1ère hypothèse :
la société ne fait pas l’objet d’une procédure collective
Dans ce cas, j’ai une totale liberté d’action.
Il importe donc d’assigner au plus vite la caution, mais également le débiteur principal en paiement.
Au préalable, il conviendra de prendre soin de garantir le paiement de sa créance, et éviter que la caution se rende insolvable.
Rien de plus désagréable en effet que de disposer d’un titre de créance, mais qui est structurellement irrecouvrable, faute d’actif réalisable.
En conséquence, il conviendra, si la consistance du patrimoine de la caution le permet, de prendre des mesures conservatoires, à savoir :
Hypothèque judiciaire provisoire
Saisie conservatoire de créance
Saisie conservatoire de bien meubles
2ème hypothèse :
La société fait l’objet d’une procédure collective
Le débiteur principal fait l’objet d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire
Les choses se corsent.
Théoriquement, durant la période d’observation, il est impossible de poursuivre une caution personne physique.
Cependant, il reste possible de prendre des mesures conservatoires sur le patrimoine de la caution, et pour les valider, de l’assigner en paiement dans le mois de leur mise en œuvre.
Toutefois, le titre exécutoire est exécuté tant que le plan de redressement ou de sauvegarde sera en cours.
Il sera alors utile de se faire désigné en qualité de contrôleur de la procédure collective, pour suivre l’évolution de celle-ci de près.
Le débiteur principal fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire
Dans cette hypothèse, il n’y a aucun frein opposable au créancier, qui conserve toute latitude pour agir contre la caution.
Le débiteur principal fait l’objet d’une procédure de surendettement
Ici aussi, la caution pourra est actionnée et exécutée
Les 200 ans du barreau de Toulon sur Info83 :
Retrouvez un autre article sur le barreau de Toulon qui fête ses 200 ans !
Info83, toute l’info du Var